MALI : Le fleuve Djoliba laissé pour compte

MALI : Le fleuve Djoliba laissé pour compte

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MALI : Le fleuve Djoliba laissé pour compte

Le fleuve Niger est une artère vitale pour notre pays. Pourtant, ces dernières années, il est abandonné à lui-même face à ses agresseurs, notamment les orpailleurs par dragage.

Il est 10 heures à Samanyana au bord du fleuve Djoliba. Le soleil a amorcé sa course vers le couchant depuis déjà quelques heures. Le soleil brille, mais ne brûle pas. L’eau du fleuve est dans un calme relatif. Des exploitants de sables sont en pleine activité. Plusieurs machines de dragage sont amarrées au bord du fleuve. De temps à temps, des groupes de pirogues liés par des cordes passent et poussent des vagues qui viennent se fracasser aux berges du fleuve. A quelques pas d’ici, Mahamane Touré démêle ses filets dans sa pirogue. Il se prépare pour une partie de pêche. Cependant, il se dit très préoccupé par une pratique de trop qui détruit le fleuve, l’orpaillage par dragage. « Je pêche ici depuis 1981. C’était la belle époque. Nos ennuis ont commencé vers 2003 avec le début du dragage. A cause de cette pratique, l‘eau du fleuve n’est plus propre à la consommation. Mais, nous n’avons pas le choix on la boit malgré la mauvaise qualité. Le dragage a franchement impacté la pêche. La quantité de poissons qu’on trouvait avant le début du dragage, on ne le trouve plus. C’est même devenu difficile de se prendre en charge uniquement par la pêche. Pendant la saison sèche, le poisson devient très-très rare à cause du dragage. Pendant l’hivernage, on extrait le corail et on le vend aux aviculteurs. Or, nous prenons le permis de pêche chaque année. », explique le pêcheur avec préoccupation.

Des études publiées en 2017 par la revue « Environnemental Science & Technology » révèlent que le fleuve Niger fait partie des cinq fleuves au monde les plus pollués. En plus, dans un rapport sur l’état fleuve Niger au Mali, l’Agence du Bassin du Fleuve Niger (ABFN) souligne que « les sources de pollution sont présentes sur tout son parcours de Djoulafondio, dès son entrée au Mali, à Labbézanga (frontière nigérienne). Les sources de pollution sont autant diversifiées que disproportionnées. Les principales sources sont l’exploitation aurifère (principalement l’orpaillage par dragage dans le lit des cours d’eau), les unités industrielles et artisanales, les ménages, l’agriculture et l’élevage ».

L’exploitation aurifère par dragues est une opération qui consiste à extraire l’or contenu dans les sables, les graviers et les sols des cours d’eau. Cette pratique, d’après les dires de Dr. Sidy Ba, ingénieur environnemental, Maître de conférences à l’Ecole Nationale d’Ingénieurs Abderhamane Baba Touré (ENI-ABT) de Bamako, engendre une dégradation physique et biologique des cours d’eau en détruisant les fonds des cours d’eau et de l’habitat des espèces aquatiques comme les poissons, augmentant la turbidité de l’eau avec la suspension des sédiments, la pollution avec le déversement de produits chimiques (mercure, acide, etc.), d’huile et de graisse, les nuisances sonores.

L’impact négatif de l’orpaillage par dragage sur les cours d’eau ont poussé l’Etat à interdire la pratique d’abord par un arrêté interministériel en mai 2019, ensuite dans le code minier quelques mois plus tard en septembre 2019, puis dans le code minier de 2023. Malgré cette interdiction, la pratique bat son plein dans le lit du fleuve Niger et ses affluents. En plus, les orpailleurs par dragage soutiennent mordicus que leur activité n’a aucun impact sur le fleuve et ses écosystèmes.

Youssouf Guindo est orpailleur et propriétaire de drague à Samanyana. Profitant du jour de repos, il papote avec ses amis exploitants de sable. Pour lui, tout ce qu’on dit concernant l’impact de l’orpaillage par dragage est faux. « Contrairement à ce qui est spéculé, nous n’utilisons pas les produits chimiques dans le dragage. Nous n’avons pas les moyens d’acheter ces produits. En plus, notre activité est loin d’être nocive pour le fleuve et la faune aquatique. Au contraire, c’est nous qui désensablons le fleuve », souligne M. Guindo.

Créée avec la mission de la sauvegarde de du fleuve Niger, de ses affluents et de leurs bassins versants, sur le territoire de la république du Mali et la gestion intégrée de ses ressources, l’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN) se dit, avec des mots voilés, impuissant face à l’orpaillage par dragage dans le fleuve par manque de moyens. Lors d’une rencontre avec la presse, en juin dernier, le directeur général adjoint de l’ABFN, Moussa Diamoye, a indiqué que leurs moyens sont limités face au phénomène de dragage et qu’ils subissent beaucoup de pressions dans la lutte contre cette pratique.

Pour Djibril Diallo, ingénieur géologue, minier et enseignant, la solution n’est pas l’interdiction de la pratique. Si les dragues sont nombreuses en seul endroit, elles troublent l’eau et cela rend difficile la vie de la faune aquatique, reconnait l’ingénieur géologue. Toutefois, il estime que si le secteur est bien organisé et qu’une drague travaille dans un périmètre de 1 km2, cela n’aura aucun impact sur la turbidité de l’eau. Il suggère ainsi à l’Etat de privilégier une bonne organisation au lieu d’interdire la pratique. « Malgré l’interdiction, le dragage continue clandestinement dans certaines localités. Et cela a plus de conséquences graves que si elle était autorisée », soutient le minier.

L’importance du fleuve Niger dans la vie socioéconomique du Mali n’est plus à démontrer. Cependant, force est de constater qu’il est abandonné par l’Etat dans les mains des chasseurs de fortunes qui ne se soucient que de leurs bénéfices. Il appartient à l’Etat de prendre ses responsabilités afin de sauvegarder ce cours d’eau et ses affluents qui ont toujours marqué l’histoire de notre pays et de son peuple.

Yacouba Traoré

 

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