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Mali : Plus de 5 millions d’enfants risquent la malnutrition de juin à septembre prochain

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Mali : Plus de 5 millions d’enfants risquent la malnutrition de juin à septembre prochain

La situation nutritionnelle au Mali n’était pas au beau fixe avant la crise. L’enlisement de celle-ci a enfoncé le clou. Selon les données du cadre intégré de classification de la malnutrition (IPC), si rien n’est fait en amont, plus de 5 millions d’enfants risquent la malnutrition de juin à septembre prochain. Une situation très alarmante qui inquiète plus d’un.

Le Mali traverse une crise multidimensionnelle depuis une décennie avec des conséquences très graves sur plusieurs plans. Avec l’expansion de la crise sécuritaire dans les zones de forte production agricole, surtout le centre du pays, beaucoup de paysans se sont vus empêcher d’accéder à leurs champs pendant l’hivernage ou pendant les récoltes. Cette situation a aggravé la problématique de la malnutrition dans le pays. Tous les indicateurs sont au rouge. En effet, d’après les chiffres de la dernière enquête SMART, la prévalence de la malnutrition aigüe (émaciation) est de 10,8%. Cependant, on ne devrait pas dépasser les 5%, d’après les experts. En ce qui concerne la malnutrition chronique (retard de croissance), la prévalence est de 21,6%. En plus, selon les résultats de l’analyse IPC (cadre intégré de classification de la malnutrition) réalisée en septembre 2022, si rien n’est fait en amont, plus de 5 millions d’enfants seront en situation de malnutrition pendant la période de soudure allant de juin à septembre 2023. Toujours selon l’analyse IPC, la situation est préoccupante dans la région de Gao qui est en tête avec la phase 3, suivie par la région de Ségou, puis la région de Kayes. En janvier 2022, la même analyse montrait que le nombre d’enfants de 6 à 59 mois souffrant de malnutrition aiguë a augmenté de 29% en 2021 comparé à 2020, et de 53% comparativement à l’année 2022.

LES CAUSES DE LA MALNUTRITION

Dans le but de cerner les causes de la malnutrition, nous avons approché Dr. Youssouf Traoré, nutritionniste, chargé du volet santé, nutrition, plaidoyer de l’ONG CSPEDA et membre du réseau des organisations de la société pour le renforcement de la nutrition au Mali (SUN OSC),

D’après Dr. Traoré, la malnutrition a plusieurs causes. Il les a classées en trois catégories. « Il y a les causes profondes qui concernent la vision politique, les ressources humaines, la prise en charge de la malnutrition, les infrastructures, les documents stratégiques de l’État. Il y a ensuite les causes sous-jacentes qui regroupent tout ce qui est relatif à l’accès aux services de santé, l’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement, l’insécurité alimentaire. Il y a enfin les causes immédiates qui sont deux : la maladie et l’inadéquation entre l’alimentation et les besoins du corps », a-t-il expliqué. Dr. Traoré a insisté sur les causes sous-jacentes notamment l’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement. Le nutritionniste de poursuivre : il y a un lien direct entre l’accès à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement et la situation nutritionnelle. « Même si vous avez les meilleurs aliments du monde, si ces aliments sont préparés dans les mauvaises conditions d’hygiène, cela va être une source de maladie. C’est pourquoi chez les enfants où la fréquence des diarrhées, des maladies est élevée, vous verrez que la situation nutritionnelle de ces enfants se détériore. Si notre environnement n’est pas propre, il y a des milliers de microbes, qui ne sont pas visibles à l’œil nu, qui peuvent contaminer nos aliments censés être bien propres. Quand on les mange, cela pourrait causer chez nous une situation nutritionnelle qui n’est pas bonne. Il y a aussi la gestion des déchets. Par exemple à Bamako, certains quartiers sont invivables à cause de l’insalubrité. Cette insalubrité va amener des risques de maladies qui auront pour conséquence une situation nutritionnelle insatisfaisante », a souligné le nutritionniste.

L’ACCES INSUFFISANT AU WASH

Concernant l’accès à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement, le Mali a pris beaucoup d’engagements au niveau international. En effet, notre pays a souscrit aux Objectifs du développement durable (ODD) dont le point 6 impose au Mali l’accès universel de tous les Maliens à l’eau, l’hygiène et l’assainissement. Aussi, dans le cadre du SWA (eau et assainissement pour tous), le Mali s’est engagé à accorder 5% de son budget au secteur Wash (eau, hygiène et assainissement). Malgré ces différents engagements pris par notre pays, les chiffres concernant l’accès à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement sont très peu réjouissants. Selon les chiffres de la Direction nationale de l’Hydraulique, le taux d’accès à l’eau au Mali est de 70,9%. D’après les chiffres du JMP, le taux d’accès à un assainissement adéquat dans notre pays est de 35%.

Afin de comprendre les raisons qui expliquent l’accès insuffisant au Wash, nous avons sollicité l’expertise de Bouréma Tabalaba, coordinateur de la CN-CIEPA.

Au cours d’un entretien qu’il nous a accordé, Bouréma Tabalaba a indiqué que la problématique du secteur Wash est majeure et se décline en plusieurs points. « Le premier défi est celui du financement. Le taux d’allocation budgétaire au secteur est de 3,6% contre un engagement de 5% dans le cadre du SWA. Le deuxième défi est le problème de la gouvernance. Il s’agit de l’application des textes. Le pays dispose d’une série de textes mais qui ne sont pas bien connus et qui ne sont pas très bien appliqués. Le quatrième défi du secteur, c’est la question en lien avec la décentralisation. Ce secteur a été transféré aux collectivités territoriales. Mais ce transfert est resté théorique. Il n’est pas opérationnel », constate le coordinateur de la CN-CIEPA.

LIEN WASH ET NUTRITION

En outre, c’est une évidence que le combat contre la malnutrition ne peut être gagné sans au préalable remporter celui de l’accès aux services Wash. Pour Dr. Youssouf Traoré, la lutte contre la malnutrition passe nécessairement par l’inscription du Wash et de la nutrition dans la Constitution comme droit de l’homme et l’encouragement des dynamiques nationales en cours. A ce titre, il a rappelé que le Mali a pris un certain nombre d’engagements au niveau international pour financer le plan d’action multisectoriel de la nutrition à hauteur de 15% pour continuer l’achat des aliments thérapeutiques. En outre, Dr. Traoré a insisté sur la promotion de nos mets pour prévenir la malnutrition. Nos mets locaux qui sont riches en nutriment constituent la première richesse nutritionnelle que nous avons, a expliqué Dr. Traoré.

Le coordinateur de la CN-CIEPA, quant à lui, a indiqué que le premier élément de la nutrition est l’eau. « S’il n’y a pas d’eau, on ne saurait parler de nutrition. L’eau, l’hygiène et l’assainissement ont un rôle fondamental dans l’amélioration de la qualité de la nutrition », a-t-il insisté. Mieux, fort du lien étroit entre le Wash et la nutrition, le programme quinquennal, Right2Grow (R2G), lancé en 2021, fait du plaidoyer pour l’intégration Wash et nutrition. Encore mieux, Bouréima Tabalaba a rapporté que le Mali dispose aujourd’hui d’une stratégie Wash et nutrition. Tout cela démontre à combien l’accès à l’eau l’hygiène et l’assainissement est indispensable pour une situation nutritionnelle satisfaisante.

D’énormes efforts ont été consentis par le gouvernement du Mali et ses partenaires notamment R2G. Cependant, on constate que le résultat escompté n’est pas encore au rendez-vous. C’est la raison pour laquelle, l’ensemble des acteurs concernés (Etat, collectivités, la société civile et les partenaires) doivent davantage continuer à mener des actions, afin de booter la malnutrition hors de nos frontières. Cela a été possible ailleurs. Il n’y a donc pas de raison que cela ne soit pas possible chez nous aussi : Un Mali sans malnutrition, c’est bien possible.

Yacouba Traoré

 

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