Dr. SALECK DOUMBIA, GYNECOLOGUE OBSTETRICIEN AU CENTRE DE SANTE DE REFERENCE DE LA COMMUNE V DU DISTRICT DE BAMAKO : « L’hémorragie est la cause de 50% des décès maternels au Mali»
Catastrophique pour l’enfant et le développement social du pays, la mortalité maternelle est aujourd’hui un phénomène qui fait beaucoup de victimes au Mali. Dans l’interview Ci- dessous Dr. Salek Doumbia, gynécologue obstétricien au centre de santé de référence de la commune v du district de Bamako explique propose des solutions pour lutter contre le mal.
Les Echos : Dans la terminologie médicale, que signifie mortalité maternelle ?
Dr. Doumbia : La mortalité maternelle est le décès d’une femme qui survient au cours de la grossesse ou les 42 jours suivant l’accouchement ; quelque soit la durée, la localisationou la cause le décès maternel n’est jamais accidentelle car il peut avoir des facteurs qui aggravent la grossesse.
Les Echos : quelles peuvent être les causes de la mortalité maternelle ?
Dr. Doumbia : En obstétrique, il existe deux grandes causesde la M.M qui sont les causes directes et indirectes. Les causes directes sont les plus fréquentes et elles sont décrites dans la littérature c’est-à-dire partout dans le monde. Parmi elles, nous avons l’hémorragie qui est le saignement pendant la grossesseou après l’accouchement. Mais, fréquemment elle intervient après l’accouchement. Après l’hémorragie viennent surtout les problèmes d’Hypertension Artérielle et ses complicationscommunément appelé préclampsie ou éclampsie. Il ya les infections qui sont aussi des causes fréquentes. En plus de cela, il ya les avortements pratiqués dans les conditions non réglementaires c’est-à-dire des avortements faits par des personnels non qualifiés qui par la suite se compliquent et aboutissent au décès maternel. A cela s’ajoutent les accouchements dystociques (difficiles) qui surviennent quand la femme est encore trop jeune pour concevoir un enfant. Quand le fœtus est trop gros pour le bassin l’enfant se développe de façon anormale chose qui peut entrainer le décèsde la maman. Après les causes directes, on a les causes indirectes qui sont des situations dans lesquelles la femme est déjà porteuse d’une maladie avec laquelle la survenue de la grossesse devient un facteur aggravant. Ces maladies sont entre autres le VIH Sida, l’hépatite B ou les pathologies cardiovasculaires. Avec ces maladies la grossesse devient un facteur déclencheur des complications durant la grossesse. Parmi ces deux causes, ce sont les causes directes qui les plus fréquentes au Mali et en Afrique.
Les Echos : Quel est le taux de la prévalence de la mortalité maternelle au Mali ?
Dr. Doumbia : Selon la dernière enquête démographique et sociale, quand on prend 100.000 accouchements au Mali 325 femmes perdent la vie en donnant naissance. Et, cela est dû dans la plupart des cas aux causes directes. Parmi, elles l’hémorragie du post-partum c’est-à-dire la perte de sang après l’accouchement occupe la premièrement la place. Ce sont des femmes qui saignent de façon excessive et continuelle après l’accouchement. Dans ces cas là, il y a des facteurs de risquequi sont identifiés mais, dans la majorité des cas vous verrez qu’il n’y a aucun facteur de risque qui déclenche le saignement et c’est là le drame vue qu’au Mali il y a un problème de produits sanguins. Ce qui fait que l’hémorragie constitue la première cause de la mortalité maternelle.Imaginez, quand on prend deux cas décès maternels au Mali, une femme meure d’hémorragie. Cela pour dire qu’elle est la cause 50% des décès maternels au Mali.
Les Echos : Pensez- vous que pendant ces 10 dernières années il y a eu un changement progressif dans la lutte contre décès maternel au Mali?
Dr. Doumbia : Oui, car il ya eu beaucoup d’initiative ces dernières années. Dans le temps, le système de santé n’était pas bien organisé. C’est pour cela que les gens ont tendance à dire qu’il y avait peu de mortalités maternelles mais cela est faux parce que les cas n’étaient pas notifiés. C’est d’ailleurs à cause de la multiplicité des cas que ce phénomène est au cœur des politiques national et international. Quand, on prend le résultat de l’enquête démographique en 2013 on verra que le taux de mortalité maternelle était très élevé au Mali vue que nous étions à 346 morts pour 100.000 naissances, mais avec le temps il ya une diminution même si elle n’est pas significative parce que un cas de décès maternel est de trop. Il y a des années de cela, les objectifs millénaires de développement voulaient une réduction de la M.M de 75% dans les pays en voie de développement mais, après une évaluation de ces objectifs, on a vu que la progression était lente en Afrique. Et seul le Cap-Vert, la Guinée Equatoriale et le Rwanda ont puatteindre cet objectif.
Les Echos : Quel mécanisme le Mali a mis en place pour lutter contre ce fléau?
Dr. Doumbia : Au Mali comme dans tous autres pays africains on notifie les cas des décès maternels pour l’audit afin des desceller les disfonctionnement des différents cas pour faire un riposte. C’est-à-dire, on prend chaque décès maternel, on analyse scientifiquement pour voir les disfonctionnements et proposer des solutions. C’est ce qui permet de voir les différents cas qui surviennent dans les centres des santés. C’est avec les résultats de l’audit qu’on peut voir la marge production du problème et proposer des solutions concrètes pour sa résolution. Au Mali, beaucoup de textes rendent les audits obligatoires.
Les Echos : Quelles peuvent être les conséquences de Mortalité Maternelle ?
Dr. Doumbia : les conséquences peuvent être sociales et familiales. Un enfant sans mère est un désemparé et sans issue. Particulièrement dans la société malienne, la maman est très importante dans l’éducation et dans l’organisation de la famille. Une famille sans maman est une famille sans boussole. Le décès maternel peut faire l’objet d’une déperdition sociale. Sur le plan sanitaire, le lait maternel est très important pour le développement psychologique de l’enfant. C’est pourquoi aucune femme ne doit être victime de mortalité maternelle.
Les Echos : Êtes- vous optimiste quant à l’éradication de la mortalité maternelle ?
Dr. Doumbia : Bien-sûr ! Mais, il faut mettre un accent sur la volonté politique du pays. A mon humble avis, si les politiques s’impliquent davantage dans cette lutte il n’y aurait pas de décès maternel. Il faut mettre plus de ressources au service de la santé. Après ça, il faut que le Mali se dote d’un personnel de santé expérimenté et compétent avec d’un système de santé bien organisé et reparti de façon égalitaire sur le territoire pour éviter les drames. Que la communauté aussi s’en approprie et s’implique davantage et à la presse de participer à cette lutte en étant active sur les sujets de santé car cela contribue aussi à la sensibilisation. Sachons que chaque citoyen peut apporter sa pierre dans la construction de l’édifice national qui est la réduction de la mortalité maternelle de 75%.
Propos recueillis par Siguéta Salimata DEMBELE et Seydou FANE
Source : Les Échos