BAMAKO : Des caniveaux comme urinoir public !
La miction dans les rues, au pied des murs, et dans les caniveaux est une pratique très courante dans la capitale malienne, Bamako. Au moment où le pays célèbre la journée mondiale des toilettes, cette pratique soulève l’impérieuse nécessité des toilettes publiques dans les rues et trottoirs.
Il est 11h10 ce lundi 18 novembre. Nous sommes assis sur la terrasse de la Maison de la Presse. Un jeune homme habillé en t-shirt blanc avec un pantalon jean et une casquette rouge arrive en moto Jakarta de la direction du marché de Médine. Il s’arrête derrière les murs de la COMADDH, gare sa moto, saute le caniveau, se met contre le mur et fait la miction. Après avoir terminé, il reprend sa moto et repart en toute tranquillité sans que personne ne l’interpelle. Quelques instants après la miction du jeune homme, une Sotrama arrive en pleine allure de la direction de Railda. A peine que le véhicule ait dépassé la Maison de la Presse, l’apprenti chauffeur tape le flanc du véhicule. Le chauffeur freine brusquement. L’apprenti descend du véhicule, se précipite derrière la maisonnette qui abrite des installations de l’EDM, fait la miction et saute dans la Sotrama avant de retaper le flanc du véhicule. Ils s’en vont. Après l’apprenti, un vendeur ambulant de friperie venant de la direction du marché de Médine se dirige tout droit vers le coin. Il porte un sac à dos, ses deux bras sont remplis d’habits et il transpire. Arrivée dans le coin, il dépose ses bagages sur le mur, descend dans le caniveau, s’accroupit, fait ses besoins, reprend ses bagages, enfile son sac au dos et repart. Ainsi de suite. C’est comme cela tout au long de la journée. Cet endroit de cette petite route qui passe devant la Maison de la Presse est transformé en véritable urinoir public. Les caniveaux des deux côtés de la route ainsi que les murs autour sont couramment utilisés par les usagers de la route les passants pour uriner.
Des endroits comme celui-ci sont très nombreux à travers la ville de Bamako. Il suffit de faire un petit tour dans la ville et prêter attention aux abords de la route pour se rendre compte de l’ampleur de la pratique. Derrière le champ hippique (côté ouest), au pied de Koulouba non loin du jardin du cinquantenaire, derrière la station Shell au Square Lumumba, à quelques encablures de la Brigade d’investigation judiciaire (BIJ) non loin de la place des Sotrama. Ces points sont nombreux à travers la capitale. Même les quartiers huppés comme Hamdalaye ACI 2 000 ne sont pas épargnés. Ce vendredi 22 novembre, un conducteur de moto taxi (Telimani) attire notre attention sur la voie qui relie l’autoroute de la Bibliothèque à la route qui passe devant l’hôtel Radison Blu et passant devant l’ASSEP. Avant d’arriver au siège de l’Association des éditeurs de la presse privée (ASSEP), il fait miction dans le caniveau à la vue de tous les passant à côté de sa moto calée sur le petit pied. Après avoir fait son besoin naturel, nous lui demandons pourquoi il fait miction en plein air dans le caniveau comme cela. Il retorque : « Ai-je le choix ? », se demande-t-il avant de se répondre « Non. Dans ce quartier, il n’y a que des services. Très rarement ces services acceptent qu’on utilise leurs toilettes. Or, il n’existe pas de toilette publique dans le parage. Et le besoin naturel est obligatoire ».
Insuffisance criante des toilettes
Il est encore 11 heures ce jeudi 21 novembre. Alou, un quinquagénaire, sort d’une chambre, met des bottes et prend un seau. Il se dirige vers un fut rempli d’eau à l’angle d’un bâtiment de deux blocs. C’est une toilette publique coincée entre le terrain de basket de Médina Coura et la station-service Shell sur l’avenue Alqoods. Il remplit le seau d’eau et commence à nettoyer les toilettes. Alou, vient de prendre service. A peine ouvertes, les usagers commencent à affluer, comme s’ils étaient impatients de l’ouverture des toilettes. L’usage de ces toilettes n’est pas gratuit. Il coûte 50 FCFA. « Alou, tu as tardé à ouvrir aujourd’hui. Qu’est-ce qui n’allait pas ? », lance un usager à Alou qui répond qu’il était à un enterrement. « Désolé, toutes mes condoléances », compatit l’usager.
Les toilettes publiques de ce genre, bien que peu commode et peu salubre, sont rares, voire très rares à Bamako. La plupart des toilettes publiques se trouvent dans les marchés et les bâtiments collectifs.
Selon le rapport conjoint OMS/UNICEF (JMP 2023), au Mali, seulement 45 % de la population dispose d’un service d’assainissement de base et la défécation à l’air libre est pratiquée par 5% de la population. Les mêmes organisations indiquent qu’actuellement, 3,5 milliards de personnes vivent sans services d’assainissement gérés en toute sécurité, et 419 millions pratiquent la défécation en plein air (OMS/UNICEF, 2023). Les conséquences du manque de services d’assainissement gérés en toute sécurité sont très graves. Selon les estimations de l’OMS en 2023, l’insalubrité de l’eau, les déficiences du système d’assainissement et le manque d’hygiène sont responsables de la mort d’un millier d’enfants de moins de 5 ans chaque jour.
Aller vers de toilettes modernes démontables
Selon les explications de Abdoulaye Deyoko, urbaniste, la construction des toilettes dans les rues et aux abords des routes n’est pas encadrée par la loi et n’est pas non plus prévue dans les plans d’urbanisation. Cependant, il précise que pour avoir l’autorisation de construction d’une infrastructure qui accueille du public il est obligatoire de prévoir les toilettes publiques dans le cahier des charges. Pour M. Deyoko, l’insuffisance des toilettes publiques peut s’expliquer par le fait que le Mali est un pays rural où dans la plupart des cas les gens utilisent les toilettes des voisins. Toutefois, l’urbaniste estime qu’il est nécessaire d’inclure les toilettes publiques dans les plans d’urbanisation. Mieux, il soutient qu’il faut aller vers les toilettes modernes démontables qui peuvent être déplacées au gré du public.
L’accès à un service d’assainissement géré en toute sécurité est un droit pour tout être humain. C’est aussi une question de dignité humaine. D’ailleurs, la communauté internationale célèbre la journée mondiale des toilettes le 19 novembre de chaque année pour promouvoir et favoriser l’accès universel aux toilettes.
Yacouba Traoré