ZONE AEROPORTUAIRE : Risque de pollution de la nappe par les boues de...

ZONE AEROPORTUAIRE : Risque de pollution de la nappe par les boues de vidange

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ZONE AEROPORTUAIRE : Risque de pollution de la nappe par les boues de vidange

Selon le rapport JMP 2021, 5% de Maliens pratiquent la défécation à l’air libre. Mais à Bamako, ce taux pourrait être plus élevé. Faute de station des boues de vidange, les vidangeurs déversent les excréments à l’air libre dans la zone aéroportuaire. Cela constitue un grand risque de pollution de l’eau souterraine.

Il est 15H ce mercredi 30 novembre. Nous sommes dans la zone aéroportuaire au dépôt anarchique des boues de vidange situé dans le secteur de Kalaban au sud-est de Guana. Le soleil poursuit sa course vers le couché. Au milieu des champs et des jardins de maraichage se trouve un grand étang d’eau qui ressemble à un lac. Pourtant, il ne pleut plus depuis près de deux mois. D’ailleurs, les récoltes sont terminées depuis plus d’un mois. Et, nous sommes à plusieurs kilomètres du fleuve pour croire que c’est un débordement des eaux du fleuve. Cet étang d’eau, ce sont des excréments enlevés par les vidangeurs dans les ménages de Bamako. Il est alimenté par des camions citernes qui viennent tour à tour y déversé les boues de vidange. Ici, c’est difficile de passer 15 minutes sans qu’un camion ne vienne se décharger sur le site. Pour mieux comprendre, nous avons approché Samou Samaké, président du syndicat des vidangeurs du Mali. Il fait la vidange depuis plus de 20 ans. Selon le syndicaliste, environ une centaine de camions viennent se décharger ici tous les jours. D’après ses estimations, ce site reçoit plus de 10 000 mètres cube de boues de vidange par jour. Malgré les petites digues qui entoure les boues, il y a une fuite des eaux usées vers Guana. Pour Samou Samaké, cette fuite est due au manque d’aménagement du site. « Faute d’aménagement du site, les eaux usées des boues coulent jusqu’à Gana et au-delà. L’aménagement du site coute très cher et est au-dessus de nos moyens. Nous avons démarché sans succès le ministère de l’environnement, de l’assainissement et du développement durable, la Mairie du District pour nous aider à aménager le site », nous a-t-il confié avant de nous apprendre qu’en plus de la zone aéroportuaire, ils déversent environ 80 mètres cube de boues de vidange par jour dans la forêt classée de à Tienfala et environ 80 mètres cube par jour dans la Commune du Mandé.

Un danger pour l’environnement et les eaux souterraines

Ce dépôt anarchique des boues de vidange est un cauchemar pour les riverains, surtout les maraîchers. La zone aéroportuaire est un endroit où le maraîchage est massivement pratiqué. Avec ce dépôt, ils cohabitent avec les odeurs désagréables et il y a un fort risque que leurs puits soient pollués par les eaux usées des boues. Ba Traoré est l’un des maraîchers dans la zone aéroportuaire. Avec son frère aîné et leurs enfants, ils cultivent un jardin séparé de l’extension du site par une digue et son puits se trouve à une vingtaine de mètres du site. Malgré cette courte distance, Ba Traoré est convaincu que son puits d’une dizaine de mètres de profondeur n’est pas pollué. Ils consomment même l’eau de ce puits. « Les eaux usées des boues ont tué beaucoup d’arbres et pollué l’eau des puits qui se trouvent sur son passage à Guana, Kouralé jusqu’à Zougoumé. De notre côté, nous nous estimons heureux parce que nous sommes un peu en hauteur par rapport au dépôt. Notre puits n’est pas pollué », nous a-t-il affirmé. Et d’ajouter « nous avons tout fait pour empêcher le déversement des boues dans la zone aéroportuaire sans y parvenir ». Il n’est pas le seul à penser ainsi. Beaucoup de maraîchers de ce côté du site pensent que leurs puits sont à l’abri de la pollution que causerait le site. C’est le cas d’Abdou qui aussi est à seulement quelques dizaines de mètres du site, mais en amont. Pour lui, ce sont les maraîchers en aval du site vers Guana qui souffrent plus des conséquences du dépôt. A l’en croire, les eaux usées qui coulent du dépôt ont ravagé beaucoup de manguiers et d’autres arbres vers Guana. Il affirme même que les eaux des puits en aval ne sont plus buvables à cause de la pollution. Cependant, aucun de ces maraîchers n’a fait de tests pour vérifier la qualité de l’eau de leurs puits.

Au cours de notre entretien, le président du syndicat des vidangeurs reconnait les dommages que le site inflige aux riverains. « Nous sommes conscients des difficultés qu’éprouve les habitants de Guana. Mais, c’est à contre cœur que nous le faisons. C’est ce site qui nous a été attribué provisoirement par le Maire du District et le Gouverneur de Bamako. L’Etat n’arrive pas à prendre ses responsabilités », a-t-il déploré.

Les efforts insuffisants de l’Etat

Qu’est-ce que l’Etat fait dans tout cela ? Nous avons posé la question à Niarga Oulé Dembélé, chef de division à la direction nationale de l’assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances (DNACPN). « L’Etat déploie beaucoup d’efforts pour améliorer l’accès des Maliens à l’assainissement. En 2009, l’Etat a élaboré la politique nationale de l’assainissement accompagné de 5 stratégies nationales dont la stratégie nationale de gestion des déchets liquides pour faciliter l’accès aux Maliens à des toilettes améliorés. Au-delà de la politique et des stratégies, des textes ont été élaborés pour le bien-être de la population malienne. Il s’agit notamment du décret 395 qui parle de la gestion des eaux usées. Mieux, des stratégies ont été développées au niveau communautaire pour booster le taux d’accès à l’assainissement au niveau rural. Aussi, un guide a été développé pour permettre l’élaboration des plans stratégiques d’assainissement au niveau des communes rurales. Avec l’appui de l’Unicef, nous avons développé l’approche appelée l’assainissement total piloté par les communautés (ATPC). Selon cette approche l’Etat ne donne pas directement de l’argent aux ménages, mais il met en place des dispositifs qui permettent aux ménages eux-mêmes de se doter de latrines. Il y a aussi la sensibilisation de masse qui est effectuée à l’occasion de la journée mondiale des toilettes célébrée tous les 19 novembre », a expliqué le chef de division.

Concernant le déversement des boues de vidange dans la nature, il affirme que cela constitue un grand danger pour l’eau souterraine. « Après la vidange des fausses sceptiques et des latrines, il faut trouver un moyen où on peut faire le dépotage de ces boues dans les conditions écologiques afin d’empêcher l’infiltration des eaux chargées pour qu’elles ne polluent pas et l’eau souterraine, et le sol », a-t-il souligné.

Toutefois, Niarga a rappelé qu’en 2017, l’Etat a obtenu de la Banque africaine du développement le financement pour la réalisation de deux stations de traitement des boues de vidange à Bamako au niveau de chaque rive. Malheureusement, regrette M. Dembélé, il s’est avéré que les sites proposés sur lesquels des études techniques ont été faites étaient des propriétés privées. L’un appartenait à un particulier et l’autre à l’IER. Faute de sites, l’Etat a perdu ce financement. Après, poursuit-il, dans le cadre du projet de résilience urbaine de Bamako, la Banque mondiale a fait un financement pour la réalisation d’une station de traitement des boues de vidange dans la zone aéroportuaire. Le projet a pris un peu de retard à la suite des sanctions économiques et financières de la Cédéao contre notre pays, mais il est toujours d’actualité.

Aujourd’hui, la situation est alarmante et interpelle les plus hautes autorités. En allant aux toilettes, où que vous soyez à Bamako, que vous soyez riche ou pauvre, vous faites indirectement la défécation à l’air libre. Parce qu’un jour ou l’autre, les boues des toilettes que vous utilisez se retrouverons à l’air libre, soit dans la forêt classée de Tienfala, soit dans la Commune du Mandé, soit dans la zone aéroportuaire. La construction d’une station de traitement des boues de vidange est plus qu’une nécessité. C’est inimaginable voire inacceptable qu’au 21è siècle la ville de Bamako où vivent plus de trois millions d’âmes ne dispose aucune station de traitement des boues de vidange. Or, de nos jours, les boues de vidange ont presque la même valeur que l’or. Elles produisent de l’engrais, de l’eau potable, du biogaz, etc. D’ailleurs à côté de nous, au Sénégal, les eaux usées des boues de vidange sont traitées et revendues comme eau de boisson. Si le Sénégal a réussi, il n’y a pas de raison que le Mali ne réussisse pas.

Leveilinfo.net

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