Analyse du poème intitulé ‘‘Si j’étais élu’’ de Mamadou Dia par Modibo Ibrahima Kanfo, étudiant en Lettres (Université de Bamako).
Mon travail se portera sur la biobibliographie de l’auteur, l’idée générale, la composition du texte ainsi que l’étude stylistique.
Si j’étais élu
Ah si j’étais élu conseiller
Je pousserai ce peuple
A l’exil sans fin
Je bâtirai un verger
Où coule un fleuve de sang
Sang des enfants exploités
Sang des femmes violées
Sang des hommes tués
Pour les plantes ornant
Le cœur de mon Maire.
Ah si j’étais élu maire
Je construirai dans ma commune
Des villas où seul je vivrais
Sans entendre les tristes cris
Des Affamés
Des Assoiffés
Des Déguerpis
Des Victimes
Ah si j’étais élu député
Je voterais des lois
Qui lieraient des mains
De ce peuple
Je ferais de ce pays une île
D’injustice
De corruption
De gabegie
Ah si j’étais élu président
Je foulerais des lois au sol
Pour régner éternellement
Je ferais du palais un club de femmes
Je boirais le sang du peuple.
Ah si je n’étais pas élu
Je me servirai des enfants
Des enfants de pauvres
Des enfants de paysans
Des enfants de misère
Pour faire de ce pays
Un champ de guerre
Une île de morts.
Extrait de ‘‘Coup de foudre’’ de Mamadou Dia
I- Biobibliographie de l’auteur : Mamadou Dia est né en 1968 dans la région de Koulikoro au Mali. Après ses études secondaires au lycée Sankoré à Bamako, il poursuit, dans la même ville des études en Lettres Modernes à l’Ecole Normale Supérieure. Plus tard, il fréquenta l’Université Cheick Anta Diop d’où il sort avec un Diplôme d’Etudes Approfondies. Il enseigna au lycée Hammadoun Dicko de Sévaré, au lycée Abirè Goro de Koro, au lycée Famolo Coulibaly de Kolokani, au lycée Bilaly Sissoko de Bamako puis à l’Université des Lettres des Langues et des Sciences du Langage Bamako. Mamadou Dia est co-auteur de ‘‘Poèmes d’ici’’ et auteur du recueil de poèmes intitulé ‘’Coup de foudre’’, tous publiés aux éditions Jamana (Mali). Ce texte qui fait l’objet de notre étude est tiré du recueil de poèmes intitulé ‘’Coup de foudre’’.
II- L’idée générale du texte : Ce poème critique indirectement les mauvais politiques. En fait l’auteur se cache derrière l’ironie pour retracer les défauts des conseillers, des maires, des présidents… les défauts qui, sans cessent gangrènent les sociétés en semant le désordre.
III- La composition du texte : Ce poème est composé d’un dizain, trois huitains et un quintil, soit 39 vers. Toutes les strophes sont hétérométriques, c’est-à-dire que les vers n’ont pas les mêmes mesures (les mêmes nombres de pieds). Il est intéressant de mentionner que la 1ère strophe est une strophe verticale c’est-à-dire qu’il y a plus de vers dans la strophe que de syllabes dans les vers contrairement à la 4ème strophe qui est horizontale c’est-à-dire qu’il y a plus de syllabes dans le vers que de vers dans la strophe. L’absence des strophes isométriques et des rimes ainsi que la légèreté de la ponctuation certifient le manque de respect de la versification classique. Cependant le poème reste toujours beau par la présence des anaphores, des anadiploses, des hyperboles, les parallélismes qui ornent le fond et agrémentent sa déclamation.
IV- L’étude stylistique :
Ce poème est divisible en deux parties inégales:
Dans la 1ère partie allant de la 1ère à la 4ème strophe, l’auteur nous montre combien un politicard qui n’a pas eu la chance d’être élu, est capable de détruire s’il était élu. Dans la deuxième partie qui n’est constituée que de la 5ème strophe, l’auteur montre combien un politicard qui eut la chance d’être élu, est capable de détruire s’il n’est pas élu. Cela est d’ailleurs remarquable à travers la construction syntaxique du début des strophes où l’on retrouve « Ah si j’étais élu … » au début des 4 strophes qui constituent la 1ère partie et « Ah si je n’étais pas élu » au début de la 5ème strophe qui constitue la 2ème partie.
Dans la 1ère strophe l’auteur pointe du doigt le mauvais candidat malheureux qui souhaitait martyriser, exploiter sans pitié son peuple, dès qu’il serait élu conseiller. Ce désir exagéré s’explique par l’hyperbole «Je bâtirai un verger / Où coule un fleuve de sang », et aux vers suivants à travers l’anaphore sur le mot « sang » il énumère les individus qui ne seront pas à l’écart de cette exploitation (enfants, femmes, hommes). L’absence dans signe de ponctuation peut expliquer ce désir d’exploitation fleuve du peuple qui coule sans arrêt pour combler le « Maire ».
Dans la 2ème strophe l’auteur se met à la place du candidat malheureux à l’élection municipale, qui ne se soucierait guère à son peuple, s’il était élu. Il évoque ensuite son souhait qui ne se limitait qu’à se construire des villas sans se préoccuper des faibles.
Dans la 3ème strophe, l’auteur, cette fois-ci se met à la place d’un mauvais candidat malheureux à l’élection législative qui aurait des vilaines ambitions vis-à-vis de sa société s’il était élu. Ces vilaines ambitions se résumaient au vote des mauvaises lois pour enfin laisser primer l’injustice, la corruption et la gabegie.
Dans la 4ème strophe, il nous expose le projet d’un mauvais candidat malheureux à l’élection présidentielle, qui, s’il était élu, consiste de s’éterniser au pouvoir tout en continuant d’exploiter le peuple comme nous le certifie cette hyperbole « je boirais le sang du peuple »
Enfin dans la 5ème strophe, l’auteur exprime l’inverse de la situation précédente, c’est-à-dire il formule les mauvaises intentions qu’un mauvais élu avait comme projet, s’il n’était pas élu. Ces désirs consistent à pousser les fils des pauvres aux soulèvements populaires pour transformer le pays en un pays d’hostilité.
Après la 1ère strophe, il entame la 2ème tout comme la 3ème et 4ème en utilisant une gradation ascendante. Si dans la 1ème strophe c’est le conseiller qui est visé, certes dans la 2ème c’est le maire, la 3ème, le député et la 4ème, le président.
L’alternance des vers longs et des vers courts semble expliquer le désordre que ces 5 individus sont capables de créer. Ici la présence du « je » ne signifie pas que l’auteur parle de lui-même; en fait, il s’incarne dans ces politicards pour mieux dévoiler leurs intentions. L’emploi du conditionnel et de la conjonction « si » montrent que toutes ces mauvaises intentions sont liées à des conditions : être élu, n’être pas élu.
La dernière strophe trahit le titre « Si j’étais élu », cela peut expliquer la manière dont les politicards trahissent le peuple.
Conclusion : Ce poème est un poème ouvert, on peut y ajouter de nombreuses strophes pour l’étendre comme un fleuve. Et pour critiquer d’autres groupes d’individus au-delà des politicards, il suffit juste de garder la même construction syntaxique en pointant du doigt d’autres personnes et par exemple on dira dans des nouvelles strophes « si j’étais élu chef de village … », « si j’étais élu chef religieux … », « si j’étais élu chef traditionnel … » ainsi de suite. C’est aussi un poème très riche en images.
Biographie : Modibo Ibrahima Kanfo est un poète né le 28 août 1996 à Nioko, un village situé dans le cercle de Nara, au Mali. Il mena ses études primaires et secondaires dans beaucoup de localités. Très tôt, il fut emporté par le goût de l’écriture. Après avoir obtenu son baccalauréat au lycée public de Bla en 2013, il s’inscrit à l’Université des Lettres, des Langues et des Sciences Humaines de Bamako (en filière Lettres).