Cinq Premier ministres en 4 ans, 3 mois et 18 jours d’exercice de pouvoir. Ce constat a été fait par un observateur au lendemain de la formation du gouvernement du nouveau Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Aux yeux de l’opposition politique, de certaines composantes de la société et de nombreux observateurs, cette cadence dans la succession des Premiers ministres a été dénoncée comme un signé « d’instabilité » au Mali.
Si un remaniement ministériel était très attendu dans le pays, beaucoup d’interlocuteurs ont visiblement été surpris par la démission du Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga.
« L’homme est tel que même l’opposition ne l’a pas épinglé. Sa loyauté, son amour pour l’intérêt public et son esprit de dialogue ont fait que le respect est son lot », a commenté Amadou Tall, chroniqueur politique dans l’hebdomadaire indépendant Le Matin.
« On ne peut raisonnablement rien reprocher à A. I. Maïga », a confié à Xinhua, M. Fousseyni Camara, un intellectuel engagé de la diaspora malienne en France.
Et à son avis, les raisons de cette rupture entre les deux personnalités de l’exécutif sont à rechercher dans « un calcul politique car Abdoulaye Idrissa Maïga ne semblait pas quelqu’un de très doué dans le micmac des combinaisons politiques ».
« Abdoulaye Idrissa Maïga est l’un des rares hommes et femmes politiques dont le nom n’est associé à aucun scandale. A ce titre, il peut être le joker ou le plan B au cas où Ibrahim Boubacar Kéita « ne serait pas candidat en 2018 », a pour sa part analysé M. Boubou Bilaly Diallo, enseignant et secrétaire général de la section de la Convergence pour le développement du Mali (CODEM, Majorité présidentielle) en France.
C’est donc pour « le protéger contre des attaques stériles des opposants ou même certains camarades de la Convention de la majorité présidentielle (CMP), le président peut lui demander de démissionner », a-t-il souligné.
Quant à l’ancien Premier ministre Moussa Mara, il l’a liée à « un dernier désaccord entre M. Maïga et le président au sujet des dernières élections dont rien ne justifiait le report si ce n’est des considérations politiciennes. Le Premier ministre voulait tenir ces élections, ce qui est à son honneur.
Dans des communiqués publiés en réactions à la nomination du Premier ministre et à la formation de son gouvernement, des partis de l’opposition ont analysé cette valse de titulaires à la Primature comme un signe d’instabilité politique et de « manque de vision » du président Kéita.
En quatre ans, a déploré le Parti pour la renaissance nationale (PARENA, opposition parlementaire), « le Mali, pays en guerre et dont l’existence est menacée, a eu six ministres de l’Administration Territoriale, cinq ministres de la Défense et cinq ministres de la Justice ».
« En 4 ans, son Excellence IBK (Ibrahim Boubacar Kéita) a nommé 5 ministres de la Défense. Comment voulez-vous des résultats probants contre les groupes terroristes alors que la coordination n’est jamais stable ? », s’est interrogé Issiaka Kouma, un activiste membre de la Plateforme anti-révision constitutionnelle « Antè Abana ! Ne touche pas à la Constitution ». Une inquiétude qui a été également exprimée par la grande majorité des observateurs interrogés sur le sujet.
« L’instabilité gouvernementale chronique est l’illustration d’un manque criard de vision du président IBK. L’échec du président saute à l’œil nu », a indiqué le Parena dans son communiqué.
« L’instabilité chronique de nos Premiers ministres durant ce mandat du président IBK (Ibrahim Boubacar Kéita) est tout simplement liée au fait que tout nouveau locataire de la Primature fait le constat qu’il existe un gouvernement bis qui tire les ficelles, qui détient le vrai pouvoir et qui passe son temps à savonner les planches sous ses pieds », a diagnostique M. Camara.
« Nous sommes l’un des rares pays où un ministre sous protection peut désobéir à son Premier ministre sans conséquence. Mais, il arrive aussi que, par ambition démesurée, certains se croient en droit de lorgner le fauteuil présidentiel une fois à la primature. Un trop grand charisme, une popularité ou même une ambition démesurée peuvent alors précipiter leur chute », a-t-il ajouté.
« Il faut savoir que les hommes sont choisis en fonction du projet qu’on mène. On nomme des personnes qui ont le plus d’aptitudes techniques, sociales, politiques…à conduire l’action que l’on veut mettre en place. En changeant fréquemment d’homme, on démontre qu’on se trompe régulièrement de casting ou qu’on ne dispose pas de projet. C’est donc au gré de l’humeur, des intérêts ou des calculs politiciens que l’on choisit », a souligné Moussa Mara qui a occupé le fauteuil du 5 avril 2014 au 9 Janvier 2015.
Certains observateurs suggèrent, en cas d’une éventuelle révision constitutionnelle, de supprimer le poste de Premier ministre au Mali au profit d’un ticket Président/Vice-président. « C’est toujours bon d’essayer une nouvelle recette qui peut apporter des remèdes appropriés », a réagi Boubou B. Diallo.
Mais, a-t-il rappelé, « le cas du Mali est particulier. Les nouvelles recettes ressemblent toujours aux plats réchauffés. C’est toujours les mêmes têtes qui reviennent. On y limoge un ministre ou un cadre pour incompétence et on le revoit, quelques mois après, à un autre poste plus stratégique que le précédent ».
Pour Fousseyni Camara de la diaspora malienne en France, « l’idée d’un vice-président risque de créer un monstre à deux têtes avec des crises institutionnelles à répétition ».
« Nous devrions plutôt expérimenter le système qui consiste à donner au PM (Premier ministre) la possibilité de choisir au moins la moitié des ministres pour gouverner avec des objectifs clairs », a-t-il préconisé.
« Je l’ai écrit en 2011 dans mon second livre sur l’Etat au Mali. Le poste de Premier ministre n’est pas productif dans notre pays où il est un fusible. Après avoir occupé le poste, je suis encore plus sûr de cela », a réagi M. Mara.
A son avis, l’idéal serait d’engager « un profond changement institutionnel avec un rééquilibrage des rapports entre les Institutions. Le meilleur schéma à mes yeux, c’est un président avec un vice-président sans Premier ministre et sans la possibilité pour le Chef de l’Etat de dissoudre le parlement ».
Les prédécesseurs de Soumeylou Boubèye Maïga à la Primature sont, depuis l’investiture du président Kéita le 4 septembre 2013, Oumar Tatam Ly (5 septembre 2013 au 5 avril 2014, Moussa Mara (5 avril 2014 au 9 janvier 2015), Modibo Kéita (9 janvier 2015 au 9 avril 2017) et Abdoulaye Idrissa Maïga (9 avril 2017 au 29 décembre 2017).
Source: Agence de presse Xinhua